« Aube. Herbe fraîchement coupée : c’est tôt en juillet. Silence. Il y a treize ans, nous étions dans cette même vallée creusée par le petit ruisseau Le Gaycre, à l’est du Tarn. C’était plein midi et nous jouions pour la première fois tous les trois. L’endroit semble nous reconnaître.

Premiers sons : alliage sur la toile tissée d’oiseaux. L’écrin résonant qu’est la vallée est d’une beauté à couper le souffle. Lent mouvement des microphones : les traits instrumentaux se fondent ou se croisent, émergeant dans l’image du petit matin.

Après le lever du jour, nous saluons le ruisseau. Clapotis sur les galets de granit. La fraîcheur sans âge de son chant. Puis c’est le temps du café, paroles émues, et du repos.

Nous retournons dans la vallée vers la fin de l’après-midi. Temps ouvert à l’événement, relations à tisser avec des éléments contrastés : grillon stridulant, grondement d’avion, crissement de sauterelle, déploiement du vent… Paysage où griffer notre présence.

Le soir, autour d’un bon petit plat, on parle un peu cuisine : nos instruments ont changé depuis treize ans. Histoires de tonalités, d’anches, de bois, de cuivre, de millésimes. Les nouvelles suspensions des microphones permettent de se déplacer avec beaucoup moins de bruit, c’est un progrès notable.

Nous revenons à la vallée au crépuscule. Le silence est bien plus lourd, plus sourd, plus dense. Cris archaïques des nuits lointaines. Plongée.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, la puissance des moments vécus dans la journée imprègne nos mémoires en silence.

Le lendemain, le vent sous les branches de frênes épouse un temps suspendu. Plainte lointaine du Loriot, comme nulle part. Une seule pièce jouée ce jour.

Nous nous retrouvons quelques mois plus tard, dans le studio, où nous choisissons les gravures sonores à retenir. Ensemble, nous en organisons le déroulement dans la durée d’un disque CD. Nous faisons très peu de corrections, quelques discrets points de montage, très peu : la matière est là, dans ce qui s’est tissé entre la vallée elle-même, le jeu des instruments, et le mouvement des micros. Nous n’avons rien à ajouter. »

Jean-Léon Pallandre – Xavier Charles –  Michel Doneda